Petit tour d'horizon du kotava

Posted on Mon 21 August 2017 in pensées

Va kottan kiavá !

Depuis bientôt un an, je pratique une langue étrange (et non étrangère) appelée le kotava : « un projet humaniste et universel, utopique et réaliste » (dixit le site officiel). Le choix du kotava est le résultat d’une recherche plutôt complexe qui fera peut-être l’objet d’explications. Mais pour résumer, je cherchais une langue :

  • Construite (aussi appelée conlang),
  • Ayant pour vocation de devenir une langue auxiliaire de communication (auxlang) internationale et non une langue artistique comme l’elfique ou le klingon,
  • Culturellement neutre, qui ne soit le véhicule d’une quelconque culture ou sous-culture, quelle que soit l’origine de cette culture (occidentale, asiatique, africaine…),
  • Avec un vocabulaire totalement à priori, c’est-à-dire ne s’inspirant du vocabulaire d’aucune langue existante.

Après pas mal de recherches j’ai arrêté mon choix sur le kotava.

La gram-merveille du kotava

J’aime la grammaire du kotava. Je trouve que c’est un petit bijou, bien ciselé et magnifiquement serti. Je suis certes un peu dithyrambique quand j’en parle, mais entre autres choses, elle est…

… est parfaitement régulière

Une fois qu’une règle est maitrisée, il n’y a aucune exception. Pas d’aberrations issues de l’agrégation de règles informelles comme pour les langues naturelles.

C’est un trait courant chez les langues construites. Pour la plupart, leur grammaire est le fruit d’une réflexion globale, le kotava n’est pas différent. Quoi qu’il en soit, la régularité d’une grammaire dénuée d’exceptions… diantre ! Que c’est agréable !

… évolue

Une langue vivante est en constante évolution. Certains usages apparaissent, certains choix grammaticaux se révèlent parfois peu judicieux, et deviennent inusités, de nouvelles expressions idiomatiques naissent. Il est important de conserver une possibilité d’évolution à la grammaire et au vocabulaire d’une langue (sauf dans certains cas particuliers).

C’est le cas avec le kotava. Sa grammaire fait régulièrement l’objet de propositions d’évolution. Certaines modifient profondément la langue, comme en 2011, où le choix d’abandonner la lettre « h » fut validé [1].

… dispose d’un vrai neutre

C’est un aspect du français qui m’a toujours dérangé. Pourquoi dit-on « un ouragan » et « une tempête » ? Ça n’a aucun sens ! Et cette règle du « masculin qui l’emporte sur le féminin en genre et en nombre » qui est à la fois d’un sexisme arbitraire et d’une injustice complète.

Petite digression ici : Il y aurait beaucoup à dire sur l’importance du neutre dans une langue, sur Sapir-Whorf [2], sur le fait que le langage conditionne notre pensée [3] et sur les hacks du français pour permettre un neutre. Mais ce n’est pas le sujet. J’en parlerai peut-être dans un autre article, mais soyons clair, c’est une promesse de gascon. En attendant le neutre est pour moi une importante fonctionnalité.

Fin de la digression, parce qu’en kotava il existe un véritable neutre. Mieux, le neutre est le mode d’expression par défaut. Le genre n’étant qu’une information supplémentaire (peu employée ou souvent inutile), exprimée au moyen de deux suffixes : -ya et -ye.

Ex : yasoc (enfant, au sens de descendant de quelqu’un) donne yasocya (fille) et yasocye (fils).

Ainsi en plus de ne pas être sexiste, le kotava affirme implicitement autre chose en normalisant le neutre : peu importe le sexe (qu’il soit génétique, physique ou perçu), notre interlocuteur et nous même sommes humains avant tout. « Un projet humaniste et universel, utopique et réaliste », vous vous souvenez ?

… est extrêmement riche et expressive

Il est possible en kotava d’agglutiner des préfixes et des suffixes aux racines de base du lexique pour créer de nouveaux mots et élargir ainsi énormément le dictionnaire de base du kotava.

Malheureusement cela contribue aussi à rendre la grammaire beaucoup plus complexe à maîtriser. De plus lorsqu’on débute il est très difficile de déterminer la racine d’un mot composé de plusieurs éléments. Il n’y a que la pratique et la lecture de textes en kotava qui permettent progressivement de repérer ces ajouts plus facilement.

Les deux exemples que je trouve les plus expressifs sont le système des affixes [4] et celui de la conjugaison [5] :

  • Les affixes peuvent transformer un mot en verbe ou adjectif, mais aussi ajouter de l’emphase ou une connotation péjorative par exemple. Ils permettent aussi de construire de nouveaux mots à partir d’une racine. Ex :

    aal (arbre) + xo (lieu ou l’on trouve …) = aalxo (forêt)
    egeba (essence) + ak (contenant) = egebak (jerrican)
    
  • La conjugaison peut exprimer simplement par l’ajout d’une modalité de nombreuse subtilités parfois complexes à exprimer en français comme le jugement personnel de l’énonciateur (c’est bien/c’est mal), la nature de l’information (témoignage direct/racontars), et bien plus encore.

La première fois que j’ai terminé la lecture de la grammaire j’ai été émerveillé par toute cette richesse. En kotava on est en mesure d’exprimer bien plus de subtilités qu’en français, et ce sans avoir recours à des périphrases complexes. Résultat, une phrase simple en kotava peut être porteuse de plus de sens que son équivalent français.

L’autre effet bénéfique de cette richesse est qu’assez rapidement on éprouve la satisfaction d’être parvenu à mieux s’exprimer et ce, de façon plus précise. Le kotava permet ainsi de moins dénaturer sa pensée lors de sa transformation en discours qu’il soit parlé ou écrit.

… est peu ambigüe

J’ai déjà un peu parlé de l’ambiguïté, mais je vais remettre le couvert. Le kotava est conçu pour être une langue dénuée d’ambiguïtés. Je ne sais pas s’il parvient à remplir totalement son objectif. Je ne suis pas assez compétent pour trancher, mais une chose est sûre, le kotava en élimine un certain nombre présentes en français.

Pour donner un exemple, les compléments d’objet sont systématiquement introduits par une préposition (en l’occurence va pour le premier complément d’objet, gu pour le second). Il n’y a pas de complément d’objet direct. Cela peut sembler un peu lourd, mais examinons la phrase suivante que vous avez probablement entendue dans votre enfance :

Nous allons manger les enfants !

À moins d’être dans un conte de Grimm, il est peu probable que « les enfants » soient ici le complément d’objet de la phrase et que les bambins soient au menu du jour. Mais il existe une probabilité non nulle que ce soit le cas.

En kotava, le complément d’objet est introduit par va mais il est aussi très souvent antéposé. On aurait donc la phrase suivante :

Va les enfants nous allons manger !

Là aucun doute, ce soir, c’est grillade de chérubin.

Le vocabulaire

Le vocabulaire du kotava est étrange. Mais l’avantage, c’est qu’il est équitablement étrange qu’elle que soit l’origine de l’apprenant. En effet il est « totalement » à priori, c’est-à-dire qu’il ne puise dans aucune des langues existantes à l’heure actuelle.

J’ai mis totalement entre guillemets car mes compétences en langues me permettent de n’identifier aucun emprunt dans une des langues que je connais. Mais 4… sur les 7000 langues identifiées à ce jour [6], ça laisse des possibilités.

Pour en revenir au vocabulaire, cela lui confère quelques avantages au prix d’un gros inconvénient :

  • Il est cohérent, les mots semblent issus d’une même langue, aucun ne parait déplacé à l’oreille,
  • Il n’y a pas de faux-amis,
  • Il est malheureusement dur à apprendre. Mais avec une la pratique régulière (venez nous rejoindre sur le forum ;-) ), on arrive à mémoriser les mots les plus fréquemment employés assez rapidement.

La difficulté

Apprendre le kotava est je trouve assez difficile. Mais c’est un exercice qui, à mon humble avis, en vaut la peine. Malheureusement, le cours de kotava disponible sur le site officiel et celui de la Wikiversité (les deux cours sont identiques) n’est toujours pas terminé. Il faut donc s’en remettre ensuite à la grammaire officielle et persévérer.

Heureusement que le forum est assez actif et les kotavusik (littéralement celui/ceux qui pratique–nt le kotava) sont très sympathiques.

Pour ma part je suis présent sur les réseaux sociaux Diaspora* et Mastodon en plus du forum. Je serais ravi de pouvoir converser un jour avec vous en kotava.

Enfin il existe une communauté sur Facebook, mais comme je suis allergique aux GAFAMs j’ai tendance à éviter de m’y rendre.

Va kottan doné !

[1]Compte rendu simplifié du 7ème comité linguistique du kotava : http://www.kotava.org/fr/fr_avaneda_06-03-2011_munesteks.pdf et liste des comptes rendus : http://www.kotava.org/fr/fr_telizeem.php
[2]Wikipédia – L'hypothèse de Sapir-Whorf : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypoth%C3%A8se_de_Sapir-Whorf
[3]Wikipédia – La novlangue : https://fr.wikipedia.org/wiki/Novlangue
[4]Grammaire du kotava – les affixes : http://www.kotava.org/fr/fr_pulviropa_310.pdf
[5]Grammaire du kotava – la conjugaison : http://www.kotava.org/fr/fr_pulviropa_303.pdf
[6]Wikipédia – Liste des langues : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_langues_par_nombre_de_locuteurs_natifs